14 sept. 2012

Du bon usage des symboles...

Dans la théorie générale des symboles proposée par le philosophe américain Nelson Goodman à propos du langage de l’art, l’unité des discours à travers lesquels nous nous rapportons au monde tient plus au mode de fonctionnement des systèmes symboliques qu’à l’existence d’une réalité unique sous-jacente. Forgée pour la musique, cette définition peut être, sans trop d'effort, transposée au gouvernement de la Cité et au registre des valeurs qui forment son arsenal d’images symboliques. Voyons un peu. Si la révolution numérique qui a donné naissance à de nouveaux métiers constitue un indubitable progrès sur le plan de la productivité, il est tout aussi peu discutable qu’elle est à la source de la destruction de nombreux secteurs économiques et de leurs emplois. Internet a ainsi quasiment étouffé l’édition musicale, naguère si florissante, tandis que la presse traditionnelle n’en finit pas d’agoniser. A ce propos, on sait que dans le domaine de l’information financière il existe désormais des outils informatiques capables de générer automatiquement des articles en ligne à la veille de l’annonce des résultats des grandes entreprises ; alimenter un logiciel en statistiques permet à l’ordinateur d’un magazine comme Forbes de générer en quelques secondes des articles parfaitement lisibles, lui permettant ainsi de remplacer ses journalistes par des robots. Ce n’est qu’un début, de telles applications pouvant bientôt voir le jour dans des domaines comme la culture, le droit ou la médecine d’où l’intelligence artificielle était exclue ou reléguée à la marge. N’empêche, privé de nombre de ses anciennes prérogatives progressivement transférées à une technocratie supranationale, le politique laisse accroire qu’il pèse encore sur le cours des choses en imposant des mesures à caractère symbolique à une société groggy, endolorie par une crise dont elle perçoit mal l’origine et les responsabilités, et dont les remèdes proposés lui paraissent inefficaces. A une époque où l’avènement des pays émergents condamne des pans entiers d’activité industrielle en Europe, la substitution du conquérant intitulé de « redressement productif » à la dénomination du ministère de l’industrie relève, malgré le volontarisme prométhéen affiché, de cette catégorie. Il en va de même pour la taxation à 75% des revenus supérieurs à un million d’euros par an dont chacun sait qu’elle n’aura qu’un impact infinitésimal sur le rétablissement des finances publiques (de 200 à 250 millions de recettes fiscales par an, dit-on, pour un besoin de l’ordre de 10 milliards supplémentaires), a fortiori si l’assiette de l’imposition sort rétrécie des arbitrages budgétaires. En contraignant les plus fortunés de nos concitoyens à donner, bon gré mal gré, l’exemple de la solidarité, le nouveau chef de l’Etat n’a pas échappé à l’esprit du temps, modelé par l’image, manière de réaffirmer inconsciemment son extrême et déroutante « normalité ». A sa décharge, reconnaissons qu’à l’heure de l’austérité, inavouée mais généralisée, le spectacle offert par une classe d’hyper-riches, largement produite par l’extraordinaire essor de la finance au cours de la décennie 1996/2006, vivant et prospérant en lévitation au-dessus des contingences matérielles et morales de leurs contemporains, ne lui permettait pas de faire l'économie de ce symbole. A l’ère des migrations, de l’internationalisation des entreprises et des échanges et de la fusion rampante des vieilles nations européennes, parions qu’en appeler au patriotisme de papa pour retenir les « élites » mondialisées dans l’étroit quadrilatère de frontières obsolètes ne sera pas suffisant et qu’une bonne politique exigera davantage que l'usage de symboles.