9 oct. 2011

Le prix de la justice

Si l’argent ne fait pas le bonheur, il alimente bien souvent les plus ardentes polémiques. La dernière à agiter le petit monde de la justice où, comme chacun le sait, les « indignés » de toute nature pullulent plus qu’ailleurs, n’est liée ni à un énième rebondissement sur les généreuses libéralités de Madame Bettencourt, ni à une nouvelle révélation sur l’identité des bénéficiaires des grosses rétrocommissions pakistanaises ou saoudiennes, ni même à l’étonnant réquisitoire en forme de plaidoirie prononcé par des procureurs bienveillants dans une affaire d’emplois fictifs mettant en cause un ancien chef de l’Etat anosognosique. Non, la révolte gronde à propos d’un article fraîchement introduit dans le Code général des impôts au numéro 1635 bis Q qui instaure une contribution de 35 euros pour l’aide juridique… ...

En dépit des apparences, la question n’est pas tout à fait sans importance. L’argent manque depuis toujours cruellement dans le budget de la justice, et plus encore depuis la réforme de la garde à vue qui nécessite une augmentation des – faibles - ressources affectées à l’aide juridictionnelle. Aussi, à la faveur de la loi de finances rectificative pour 2011 adoptée le 29 juillet dernier et du décret du 28 septembre suivant, il a été décidé que toute personne désireuse d’engager une procédure civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou administrative doit, à partir du 1er octobre 2011, acquitter cette contribution sous peine de voir son action déclarée irrecevable. Il va de soi que quelques exceptions à la règle générale ont été prévues, qui tiennent, selon les cas, à la qualité du demandeur à l’instance, à la juridiction saisie, ou encore à la nature de la procédure. Ainsi, sont dispensés de cette contribution l'État lui-même et les personnes – de plus en plus nombreuses – qui bénéficient de l'aide juridictionnelle. Y échappent également les actions engagées devant la Commission d'indemnisation des victimes, le juge des enfants, le juge des libertés et de la détention et le juge des tutelles. Enfin, en sont exonérés les contentieux du surendettement des particuliers, les procédures collectives de redressement et de liquidation judiciaires des entreprises, les recours administratifs contre les décisions individuelles portant sur le séjour des étrangers en France et le droit d'asile, le référé liberté devant une juridiction administrative, les demandes de protection devant le juge aux affaires familiales et certaines procédures concernant les listes électorales. Pour les spécialistes, on ajoutera que lorsqu'une même instance donne lieu à plusieurs procédures successives devant la même juridiction, elle ne sera versée qu'au titre de la première d’entre elles.

Vent debout, des organisations professionnelles de magistrats et d’avocats s’opposent néanmoins à cette nouvelle taxe au nom de l’accès au droit de tous et de l'égalité des citoyens devant la loi sans distinction d'origine, de race ou de religion. Malgré les droits de procédure et autres frais d’enrôlement destinés à financer le fonctionnement des greffes des tribunaux, malgré les droits fixes, proportionnels ou progressifs existant qui varient selon la nature de la procédure ou de la décision rendue, la gratuité de la justice demeure formellement un principe cardinal sur lequel on ne plaisante pas dans notre bonne République. C’est pourquoi le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours formé par le Conseil National des Barreaux, qui représente plus de 50.000 avocats, soit autant de collecteurs d’impôts plus ou moins réfractaires en puissance.

Quoi qu’il en soit, il faudra bien se résoudre à sortir tôt ou tard d’un système qui postule comme un credo suranné que le service public de la justice ne doit pas avoir de coût pour l’usager, mais seulement pour l’Etat déjà surendetté. Sauf à vouloir maintenir ce service public – régalien s’il en est - dans une situation d’indigence matérielle déshonorante qui ne peut que nuire à sa qualité. L'intérêt du justiciable vaut peut-être bien un effort, si ce n'est une petite entorse aux grands principes..