27 nov. 2009

Liberté, Libertés

Depuis sa naissance, en 1958, la Ve République ne cesse d’afficher sur sa Constitution le panneau ‘’works in progress’’. Dernier en date de ces travaux de rénovation commandés par le président de la République en exercice dès après son élection, l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel qui pourra désormais, en vertu du futur article 61-1 de la Constitution issu du projet de loi organique définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier, exercer, a posteriori et in concreto, un véritable contrôle de constitutionalité des lois.

Disons-le tout net, il s’agit d’une avancée certaine sur le plan de la protection des droits fondamentaux et du respect de l'Etat de droit en France même si, faute d’avoir été suffisamment relayé par les médias, l’enjeu en échappe peut-être encore aux citoyens. En substance, le nouveau texte prévoit que lorsque, dans une instance pendante devant une juridiction, quelle qu’en soit le degré, l’une des parties soutient ‘’qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés’’ garantis par la Constitution, ‘’le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation’’. La réforme ne donne donc pas aux juridictions ordinaires ni aux juridictions suprêmes des ordres administratif et judiciaire le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi en vigueur comme c'est le cas aux Etats-Unis par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité. Mais elle introduit un mécanisme de question préjudicielle qui permettra, le cas échéant, au Conseil constitutionnel d’annuler, à l’occasion d’un procès, pénal, civil ou administratif, une disposition qu’il jugera inconstitutionnelle. Le contrôle de la conformité des lois à la Constitution ne relèvera donc bientôt plus du privilège exclusif d’un nombre limité d’autorités instituées et de groupes de parlementaires, qui l’exerçaient a priori avant promulgation des lois, mais deviendra une prérogative reconnue à tout justiciable, progrès indubitable sur le terrain des libertés publiques.

Au-delà des aspects techniques susceptibles de justifier une adaptation du mécanisme de saisine, en matière pénale particulièrement, on peut imaginer l’usage qui pourra être fait d’une telle disposition pour tenter de retarder, à des fins purement dilatoires, une décision judiciaire en obtenant un sursis à statuer. Le législateur a donc prévu que la question préjudicielle ne serait transmise par le juge à la juridiction suprême dont il dépend qu’après s’être assuré, d’une part que le texte contesté commande l'issue du litige ou la validité de la procédure, voire qu’il constitue le fondement même des poursuites, d’autre part que ce texte n'a pas été préalablement déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, enfin que le problème posé a bien un caractère sérieux. Si la décision du juge de transmettre la question préjudicielle ne sera pas susceptible de recours, la partie adverse pourra néanmoins faire valoir ses droits en soutenant, devant la juridiction suprême saisie, que les conditions fixées par la loi organique ne sont pas réunies.

Ces quelques principes succinctement exposés permettent de mesurer le chemin parcouru en quelques décennies. Institution originellement conçue comme un instrument politique destiné à empêcher le Parlement de sortir de son rôle, à le maintenir dans ses limites strictes fixées par la Constitution, le Conseil constitutionnel ne pouvait, avant la réforme giscardienne des années 1970 qui a rendu possible la saisine d’initiative parlementaire, exercer de contrôle sur la constitutionnalité des lois ordinaires que si elles lui étaient déférées par le président de la République, le Premier ministre ou l’un ou l’autre des présidents des deux assemblées.

Avec cette nouvelle réforme, le régime républicain français, si atypique et si furieusement monarchique par bien des aspects, tend à converger vers les modèles démocratiques européens plus accomplis. Il eut été injuste de ne pas l'admettre.