27 sept. 2009

La grande traque

Conséquence immanente ou une simple coïncidence ? Plus de trois ans après sa publication, mais quelques mois seulement après l’explosion de la crise financière et les promesses faites par les dirigeants des ‘grands’ pays de la planète d’engager sérieusement l’assainissement du système financier, la troisième Directive européenne anti-blanchiment du 26 octobre 2005 se trouve enfin transposée en droit français par une ordonnance du 30 janvier 2009. Son décret d’application a été promulgué le 2 septembre dernier et publié au Journal Officiel le 4. Le dispositif est donc maintenant pleinement opérationnel en France.

En imposant aux professionnels participant ou assistant, de près ou de loin, directement ou indirectement, à des mouvements de capitaux (banques, intermédiaires, agents d’affaires, notaires, avocats, etc.) une double obligation - de vigilance, d’une part, et de déclaration de soupçon d’autre part - ces textes, intégrés au Code monétaire et financier, n’ont pas bouleversé le schéma général de la réglementation européenne contre le blanchiment d’argent sale provenant d’activités criminelles comme le trafic de drogue et le financement du terrorisme. Mais, par ce biais, le législateur français a commencé à organiser la grande traque aux (simples) fraudeurs de l’impôt, par ailleurs sommés, annonces médiatiques à l’appui, de renoncer aux dangereux délices des paradis fiscaux.

Enrôlés à leur corps défendant comme supplétifs de la police financière de la République en dépit de leur secret professionnel, les avocats ne font pas exception à la règle. Au risque d’être eux-mêmes considérés comme auteur de l’infraction de blanchiment réprimée par l’article 324-1 du Code pénal, ils devront généralement, dans leurs activités non juridictionnelles et à l’instar des autres professionnels concernés, identifier leur client et, au besoin, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires, lequel est défini par la loi comme ‘la personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, le client ou celle pour laquelle une transaction est exécutée ou une activité réalisée’ (art. L. 561–2–II CMF). La circonspection et la méfiance font donc discrètement leur entrée dans le glossaire des manuels de droit à l’usage de tous ceux qui, de près ou de moins près, participent à la circulation de l’argent.

Puis, s’ils pensent que les fonds utilisés dans une opération donnée peuvent provenir d’une infraction punie d’un an d’emprisonnement au moins, ils devront, via leur bâtonnier, faire une déclaration destinée à l’organisme de renseignement du ministère des Finances, le fameux TRACFIN. Sanctionnée en France par cinq ans d’emprisonnement, la fraude fiscale (qui commence en principe à 153 euros de revenus omis) se trouve ainsi incluse, par définition, parmi les infractions visées.

Dans son Bulletin hebdomadaire du 14 octobre 2008, le bâtonnier de Paris tentait encore désespérément de dissuader les pouvoirs publics d’étendre aux avocats l’ordonnance de transposition, horrifié à l’idée de voir les avocats transformés en ‘cohortes de dénonciateurs’ anonymes. Et de s’écrier alors, dans un sursaut d’énergie: ‘Est-il concevable que l’avocat soit obligé demain, pour ne pas être mis en examen et poursuivi, de déclarer à l’administration le soupçon qu’il aurait conçu d’une fraude de quelques milliers d’euros, même si cette fraude – regrettable – a été commise des années auparavant de sorte que la prescription empêche de la poursuivre ?’ Ce cri est, hélas, demeuré sans écho. Première victime recensée de la lutte engagée contre le financement de la grande criminalité: le lien de confiance entre l’avocat et son client, dissout par inadvertance sur l’autel sacrificiel de la fraude fiscale. L’ère du soupçon et de la dénonciation est advenue, et avec elle celle de la repentance…

Le 20 avril dernier, en effet, tendant une main gantée de velours aux contribuables possédant des avoirs non déclarés à l’étranger, le ministre du Budget annonçait au son des trompettes la création d’une cellule de régularisation, aussitôt ironiquement baptisée cellule de dégrisement. Le ministre les invitait alors ‘à venir avec leur bonne foi en bandoulière pour régulariser leur situation’, précisant au passage – bienséance politique oblige - que cette offre n’était pas une amnistie. Certes, aucune poursuite pénale ne sera, dit-on, engagée contre les repentis, mais les impôts, intérêts de retard et pénalités prévues par la loi leur seront naturellement réclamés.

Les contribuables concernés ont fait rapidement leurs calculs : à supposer que, dans le cadre d’une négociation, le fisc accepte de leur faire remise d’une partie des pénalités de mauvaise foi (40%) ou d’abus de droit (80%) prévues le Code général des impôts, l’addition sera lourde : hormis l’impôt sur le revenu sur les produits de leurs comptes bancaires, il faudra, pour certains, régler des rappels d’ISF (le cas échéant sur les dix dernières années à défaut d’application des règles de prescription habituelles), le tout augmenté de l’intérêt de retard de 4,80% par an. Méfiants vis-à-vis de l’administration, ils s’interrogent aussi sur les garanties qu’ils peuvent en attendre contre d’éventuels futurs contrôles fiscaux à répétition. En cette matière comme en d’autres, l’art de la guerre n’est-il pas, comme l’enseignait il y a bien longtemps déjà Sun-Tsé, l’art de duper ?

On n’est donc pas surpris d’apprendre que l’offre du gouvernement ait rencontré si peu de succès. Début septembre, le ministre a alors fait monter la pression d’un cran en prétendant que ses services détenaient les noms et les coordonnées de 3000 ressortissants français titulaires de comptes ouverts dans les banques suisses, espérant ainsi les inciter à entreprendre, avant la fin de l’année, leur régularisation. Au pays du fichier Tulard, de sinistre mémoire, faut-il pourtant s’étonner qu’on trouve si peu de candidats à l’auto-dénonciation ?