27 avr. 2009

La quasi collision des civilisations

La Conférence d'examen de Durban qui vient de s’achever à Genève paraît reléguer dans les poubelles de l’histoire des idées politiques le concept de “choc des civilisations“ popularisé jadis par un universitaire américain forcément provocateur. La preuve de l’inanité de ce concept, observera-t-on, vient d’être administrée par son Document final qui souligne, dans un irénisme touchant, que le droit à la liberté d'opinion et d'expression, “fondement essentiel de toute société démocratique et pluraliste“, contribue à lutter contre le racisme à travers le monde. Mais au prix de quel marchandage diplomatique est-on parvenu à la réaffirmation de cette pétition de principe ?

Encore tremblants de l’émotion suscitée chez eux par l’affaire des caricatures de Mahomet, les pays musulmans avaient préparé les travaux de la Conférence avec l’intention de faire adopter l’extravagante incrimination de “diffamation des religions“, autrement dit blasphème. Un délit ignoré du droit interne des nations démocratiques qui aurait ainsi pu faire irruption dans la légalité internationale forgée, à coup de bluffs, de compromis et de renoncements, par l’inlassable usine de production onusienne. L’idée, heureusement retoquée par les chancelleries occidentales, est réapparue sous la forme de la pénalisation de “l’incitation à la haine religieuse“ dont on verra bien, en fonction des pratiques législatives et judiciaires locales, comment elle s’articule avec la liberté d’expression. En échange de cette concession sémantique qui ne dit a priori rien qui vaille – à partir de quand la critique des croyances se mue-t-elle en incitation à la haine religieuse ? -, les Etats démocratiques ont renoncé à imposer l’inclusion de l’homophobie parmi les formes de discrimination contre lesquelles lutter. A Genève, il n’y a pas eu de choc de civilisations, mais ce que l’on nomme, dans le langage de l’aviation, quasi collision.

Malgré les congratulations de circonstances, ce compromis, qui sauve les apparences et la Conférence elle-même, ne peut satisfaire au fond personne. La prudente équidistance gardée, par exemple, entre islamophobie et antisémitisme – attitudes qui n’ont intellectuellement aucun fondement commun -, les fausses homothéties fabriquées pour satisfaire les intégristes et leurs relais portent en elles le germe de nouvelles confrontations.

Tout compte fait, vingt ans après la fatwa lancée d’Iran contre Salman Rushdie et trois ans après l’épisode des caricatures, les théocrates semblent bien avoir remporté une nouvelle victoire psychologique contre des démocraties pusillanimes et munichoises qui n’en finissent pas d’expier leur passé colonial. Qui plus est en subvertissant la belle idée de Droits de l’Homme, retournée comme une arme de dissuasion contre les pays qui l’ont inventée pour leur interdire d’exercer leur prétention à l’universalisme...

Sous couvert de respect des religions, de leurs dogmes et des mentalités qu’elles contribuent à perpétuer, l’enjeu subliminal de la Conférence avait une tout autre dimension : préserver les systèmes de domination patriarcale, maintenir les femmes sous le joug masculin. Et cet enjeu-là ressort au moins autant de la psychanalyse des cultures que de la diplomatie.