23 mars 2009

La mode de l'ascèse

Comme de juste, la leçon sacrée devait venir, ce mois-ci, du Vatican, haut lieu de la pensée théologique et, désormais, de la recherche médicale appliquée. En route vers l’Afrique subsaharienne où 22 millions de personnes vivent infectées par le virus du sida, le pape, fidèle à la doctrine officielle de l’Eglise, a une nouvelle fois fait l’éloge de l’abstinence et condamné l’usage du préservatif, dont la distribution massive aggraverait le mal. On savait bien que dans l’esprit de nos dévots contemporains, toutes religions confondues, Eros a en encore le visage de Satan. Mais on ne se souvenait plus de l’époque furieuse, enfouie sous les débris, où des prêtres ensoutanés affirmaient que la syphilis avait été envoyée aux hommes pour les punir de leurs péchés. Les vieilles lunes ont décidemment la vie dure. A quoi bon, serait-on tenté de dire, avoir fait de la parabole de Job, l’innocent à la foi inaltérable injustement frappé par les foudres divines, un écrit canonique et une mine de réflexion inépuisable sur les mystères de la nature et du destin ?

Du sexe à l’argent, la morale de l’ascèse, comme une mode, s’empare de tout. Greed is good, disait-on à l’époque pas si lointaine où la croissance triomphait sous le flot ininterrompu des liquidités à bon marché distribuées par des banques insouciantes, où les fonds de LBO, avides de rentabilité immédiate, intéressaient les managers sur les profits et les plus-values à court terme réalisées au détriment des salariés, où la financiarisation de l’économie, représentée par des produits de plus en plus sophistiqués et de plus en plus immatériels, semblait inéluctable.

Mais l’éthos, au sens où le sociologue Max Weber entendait ce terme - construction subjective de l’ordre légitime du monde organisant la conviction intime de chacun sur ce qui doit ou ne doit pas être fait – semble déboussolé. Crise oblige, le débat fait maintenant publiquement rage sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise, les stock options et les parachutes dorés. Les médias s’étaient jadis émus des indemnités, indécentes s'est-on écrié, d’un Noël Forgeard (ex patron d'EADS) ou d’un Antoine Zacharias (président de Vinci), partis respectivement avec un chèque de 8,2 millions et 12,9 millions d’euros. Au point d’amener des organisations patronales comme le Medef et l’Afep à édicter ensemble des recommandations en guise de code de bonne conduite… Signe de ces temps fantasques, fin 2008, le président de Dexia, banque secourue par l’Etat pour éviter la faillite, a du renoncer sous la pression politique à un parachute de 3,7 millions d'euros, tandis que, en mars 2009, on débat encore du sort de l’indemnité de départ de 3,2 millions du président de Valéo, équipementier aidé, lui aussi, via le récent Fond de soutien à l’industrie automobile.

Doit-on en conclure avec les optimistes - ces imbéciles heureux, comme disait Bernanos - qu’une page est définitivement tournée sur ces pratiques, obscènes aux yeux du plus grand nombre ? Ou avec les pessimistes - ces imbéciles malheureux - qu’à la sortie de la récession, tout repartira comme avant puisque les sociétés modernes sont à la fois versatiles et grégaires, puisque tout le monde change de système de valeurs en même temps, et que l’éthique elle-même, « cette chose si ancienne et si grave », selon Finkielkraut, devient frivole ?