6 nov. 2008

Crise: refinancement ou refondation ?

Avec ce titre de polar qu’on dirait emprunté à l’enquête romancée de BHL sur l’assassinat de Daniel Pearl, Le Monde s’interrogeait ainsi gravement dans son numéro du 7 octobre dernier : « Mais qui a tué Lehman Brothers ? » L’article ne prétend pas reprendre formellement à son compte la thèse d’un comité de créanciers dépités sur le « complot » ourdi contre la banque d’affaires par un autre grand établissement de Wall Street, qui en aurait précipité la faillite avec la complicité objective du Trésor et de la Fed. Il permet cependant de comprendre ce que la panique financière à laquelle a assisté la planète tout entière doit, dans une certaines mesure, aux vieilles rivalités de maisons concurrentes entretenues par la soif de pouvoir, la cupidité, l’ego boursouflé de leurs dirigeants. Au battement d’aile de papillon, en somme…


Comme pour le changement climatique, on peut toujours se rassurer sur la qualité du cuir du libéralisme économique en évoquant quelques précédents oubliés. Au XIXème siècle, la disparition brutale de banques causée par des investissements hasardeux ou des placements hautement spéculatifs provoqua krachs boursiers, crises de liquidités et faillites en cascade sans pour autant occire le capitalisme. Plus récemment, l’assèchement monétaire du à la politique anti-inflationniste drastique de la Fed a eu pour conséquence, dans les années ‘60, un grave ralentissement économique vite surmonté. Il n’empêche ! La paralysie quasi complète du marché interbancaire à laquelle, éberlué, le monde vient d’être confronté a conduit les autorités politiques et les banques centrales - crainte d’une réédition du cataclysme de 1929 oblige - à adopter, avec une rapidité rare, quelques révisions de doctrine.

Ainsi, au niveau européen, la BCE a facilité l’accès au crédit des établissements bancaires asphyxiés en assouplissant provisoirement, par la décision du Conseil des Gouverneurs du 17 octobre dernier, ses critères d’éligibilité des actifs remis en garantie. Au niveau français, la loi de finances rectificative votée en urgence dès le 16 octobre a prévu, quant à elle, trois dispositifs destinés à réamorcer le marché interbancaire et/ou à consolider le haut de bilan des organismes financiers :

(i) création d’une société de refinancement qui doit notamment émettre des obligations bénéficiant, à titre onéreux, de la garantie de l'Etat dans la limite de 320 milliards d'euros et pour une durée de cinq ans ; ces émissions permettront à cette structure ad hoc d'octroyer des prêts aux établissements de crédit agréés en France moyennant remise en garantie ou acquisition temporaire d’actifs et, pour faire bonne mesure, quelques engagements d’ordre éthique de la part de ces établissements ;

(ii) création d’une société de prise de participations de l'Etat ayant pour vocation d’apporter, à concurrence de 40 milliards, des fonds propres ou quasi fonds propres aux établissements qui en auront besoin, ce qui a déjà été fait pour Dexia et six autres groupes bancaires français ;

(iii) autorisation donnée, en cas d'urgence, au ministre de l'Economie d’accorder à titre onéreux la garantie directe de l'Etat aux emprunts souscrits par les banques pour les besoins de leur refinancement.

Les plus libéraux se féliciteront qu’en inventant promptement des solutions pragmatiques le gouvernement ait su éviter la tentation de nationaliser des établissements bancaires au risque de perdre ses repères idéologiques et d’aggraver le déficit budgétaire ; les partisans du retour plus franc de l’Etat verront probablement dans ces mesures d’exception une sorte d’ « usine à gaz » et dénonceront une réaction pusillanime.

La crise financière appartient peut-être déjà au passé ; la récession économique se conjugue sans doute au présent ; reste à savoir si la « refondation » du capitalisme prônée par notre président de la République est vraiment pour demain.