1 juil. 2008

Mères porteuses : nouveau débat en perspective...

Avec la publication, le 25 juin dernier, du rapport du groupe de travail sénatorial, un pas semble avoir été fait vers la légalisation, en France, de la pratique de la gestation pour autrui, qui bouleverse l’idée même que l’on se fait depuis toujours de la filiation. Pour le dire simplement, cette pratique consiste à faire un enfant avec les ovocytes fécondés in vitro d’une femme dépourvue d’utérus avec le sperme de son compagnon ; l’embryon ainsi conçu est ensuite transféré dans l’utérus d’une autre femme, la « mère porteuse », qui le portera pour le compte de ce couple. Génétiquement, l’enfant sera incontestablement de ce couple de parents intentionnels, qui le recueillera à sa naissance et l’élèvera. On peut imaginer ce que ces techniques médicales mises au service de couples désireux d’avoir un enfant possédant leurs propres gènes peut susciter d’interrogations d’ordre psychologique ou psychanalytique, tant au niveau de la mère porteuse qu’à celui des parents dits intentionnels et de l’enfant lui-même. Des questions éthiques ne manqueront pas de se poser sur le risque de générer une nouvelle aliénation du corps des femmes, une sorte de commerce des ventres… Limitons-nous ici au seul point de vue du droit.

La maternité pour autrui a été radicalement proscrite par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation aux termes de son arrêt du 31 mai 1991. Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, une femme atteinte d'une stérilité irréversible avait permis à son mari de donner son sperme à une autre femme qui, inséminée artificiellement, avait porté et mis au monde l'enfant que ce couple désirait ; à sa naissance, cet enfant a été déclaré comme étant né du mari, sans indication de filiation maternelle. La cour d’appel de Paris avait prononcé son adoption plénière par l’épouse stérile en retenant que, « en l’état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l'ordre public », cette adoption étant de surcroît conforme à l'intérêt de l'enfant, qui avait été accueilli et élevé au foyer de ce couple pratiquement depuis sa naissance.


La Cour de cassation avait cassé cette décision de Paris en jugeant solennellement que « la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l’état des personnes ». Les lois de bioéthique de 1994 ayant consacré cette jurisprudence, la Cour de cassation a pu réaffirmer sa position hostile à la maternité de substitution en énonçant, par son arrêt du 9 décembre 2003, que l'adoption plénière d'un enfant né dans ces conditions ne pouvait qu'être refusée car « la maternité pour autrui, dont le caractère illicite se déduit des principes généraux du Code civil, et aujourd'hui de son article 16-7, réalise un détournement de l'institution de l'adoption ».


Mais, comme souvent, le droit court après la pratique et doit finalement s’adapter pour tenir compte de l’évolution des mentalités, et des libertés offertes ailleurs, comme au Canada, aux Etats-Unis, en Grande Bretagne ou en Grèce, où la pratique des mères porteuses est légale, voire aux Pays-Bas et en Belgique où elle est tolérée. Ainsi, à l’automne dernier, à propos de la transcription d’actes de naissance de jumeaux nés à l’étranger, la cour d’appel de Paris - encore elle - a accepté, au nom de « l’intérêt supérieur des enfants » d’ordonner cette transcription afin de ne pas les priver d’actes d’état civil indiquant leur filiation, y compris à l’égard de leur père biologique.

C’est précisément pour éviter que les enfants nés à l’étranger se trouvent privés de leur lien de filiation maternelle que le groupe sénatorial s’est prononcé en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui. Sous diverses conditions, cela va de soi : exclusion de toute transaction à caractère mercantile, contrôle de l’Agence de Biomédecine, autorisation d’un juge, notamment. Le tout pour permettre à des femmes qui ne peuvent mener une grossesse à terme « d’avoir des enfants en toute sécurité médicale », dit le rapporteur. Précision superfétatoire si l’on veut bien admettre que la sécurité médicale peut être assurée ailleurs qu’en France…

D’une certaine manière, ce débat rappelle l’époque de la légalisation de l’avortement, en 1974. Comme l’écrit Simone Veil dans son autobiographie, les consultations préalables auxquelles, alors ministre de la Santé, elle avait procédé auprès des diverses autorités religieuses n’avaient pas suscité d’oppositions vraiment farouches. Inspirées par les milieux les plus intégristes, les passions ne se sont déchaînées qu’au cours de la discussion parlementaire qui suivit.

Le temps des empoignades furieuses, des anathèmes et autres menaces d’excommunications n’est donc pas encore venu, mais on sent bien que la maternité pour autrui pose des problèmes ontologiques au moins aussi graves et complexes que ceux du passé. En premier lieu, de la « gestatrice » qui a porté l’enfant et en a accouché ou de la donneuse d’ovocyte dont il portera le patrimoine génétique et/ou qui le recueillera à sa naissance et l’élèvera, qui est donc la mère ?

La réponse que le législateur donnera à cette question en réglera l’aspect légal, mais pas les délicats aspects philosophiques et moraux sous-jacents qu’il appartiendra à d’autres de tenter de résoudre.


1 Comment:

Anonyme said...

Un article qui résume bien la situation actuelle de la législation française sur le cas des mères porteuses.

En tout cas, il m'as aidé dans mon commentaire d'arrêt de la décision de la Cour de cassation de 1991.

Cordialement