15 avr. 2013

La Morale et la Terreur

Le sens du discernement et de la mesure seraient-ils en passe de faire les frais de la crise de nerfs provoquée, chez les princes qui nous gouvernent, par la dette qui enfle, le chômage qui grimpe et la récession qui s’installe malgré les remèdes de cheval imposés aux citoyens désorientés que nous sommes ? A défaut de peser concrètement sur le cours d’une économie globalisée, dont le fonctionnement échappe plus que jamais aux décrets et aux règlements nationaux, nos dirigeants, de quelque bord qu’ils soient, persistent à s’enivrer du secret plaisir de fabriquer des lois de circonstance pour se donner l’illusion de conjurer l’impuissance. Nous vivons une époque formidable. Les aveux récents de Monsieur Cahuzac à propos de ses comptes étrangers non déclarés et la révélation quasi concomitante des placements exotiques d’un conseiller de l’Elysée, ancien trésorier de campagne du président de la République, et hop ! voici qu’on nous annonce tout à trac une « loi de moralisation de la vie publique », intitulé qui sonne aux oreilles d’un pays éberlué comme l’aveu implicite que morale et vie publique dorment rarement dans le même lit. Ce dont en vérité, hormis les idéalistes indécrottables et ceux qui ignorent les constantes historiques, peu d’entre nous doutaient encore. Il faut s’y faire, une démocratie n’est pas plus une école de morale que, selon le mot de Mao, une révolution n’est un dîner de gala. Heureusement, à l’exception peut-être des émules affadis de l’Incorruptible, toujours prompts à voir le vice généralisé de la classe dirigeante derrière les turpitudes de quelques individus, nul ne songe plus sérieusement à imposer la Vertu par la Terreur, si ce n’est à coup de balai. Il y a néanmoins des mots qui tuent ou, au minimum, font frémir d’indignation. Qu’un Etat, soucieux du respect de l’égalité de ses citoyens devant la loi et du redressement de ses finances publiques, érige la transparence des responsables politiques et la lutte contre la fraude fiscale en double impératif catégorique ne peut que susciter l’adhésion. Que son chef dénonce en toute bonne conscience, au nom d’une morale démocratique immanente, les mystérieuses « dérives de l’argent, de la cupidité et de la finance occulte » pour préparer l’opinion à l’avènement d’une législation qui, par certains aspects, s’affranchira des grands principes fondateurs du droit républicain est, en revanche, inadmissible. Comme l’a souligné le sociologue Pierre Birnbaum, ces expressions font écho à la vieille rhétorique haineuse sur le « mur de l’argent », les « ploutocrates » et les « 200 familles », propos de tribune répétés à l’envi au cours des années 1930 qui finirent par saper la cohésion sociale au moment où, à la veille d’un conflit que les plus clairvoyants jugeaient inéluctable, la Nation aurait du se rassembler. Même si, en dehors de l’usage récurrent de ces formules de style assassines, les époques ne sont guère comparables, désigner des boucs-émissaires à la vindicte populaire reste hélas, aujourd’hui encore, un moyen commode pour justifier le patinage d’une politique de défi à la réalité du monde tel qu’il va.